03/08/2025

Taiwan Today

Taiwan aujourd'hui

Cochon de Lanyu : petit mais costaud

01/12/2009
Trois porcelets de la station de Reproduction animale de Beinan. De g. à d., un porc miniature de Lanyu, un porc Mitsai et un porc tacheté de Lanyu. (AIMABLE CREDIT DE CHU HSIEN-PIN / STATION DE REPRODUCTION ANIMALE DE BEINAN)
A la mi-juin, alors que Taiwan faisait état d’une cinquantaine de cas de grippe A/H1N1, presque tous contractés à l’étranger, l’aéroport international de Taoyuan était en alerte pour tenter d’enrayer la propagation du virus dans l’île.

Au même moment, sur la côte sud-est, un dispositif tout aussi rigoureux était mis en place autour de la station de Reproduction animale de Beinan, dans le district de Taitung, une unité de recherche dépendant du ministère de l’Agriculture. Chaque véhicule entrant ou sortant de cette installation était désinfecté, et les employés en contact avec les animaux devaient porter des tenues de protection. Toutes ces mesures visaient à y prévenir l’apparition d’un éventuel foyer de grippe porcine. Et pour cause : la station accueille les 39 derniers spécimens de porcs miniatures de Lanyu, une race qui, comme son nom l’indique, vivait à l’origine sur Lanyu, l’île aux Orchidées.

Un cochon peut en cacher un autre

En 1897, deux ans après la fin de la première guerre sino-japonaise qui a été suivie notamment de la cession par la Chine de Taiwan au Japon, l’anthropologue Ryuzo Torii est l’un des premiers Japonais à mettre le pied sur l’île de Lanyu, alors appelée Koto-sho par l’administration nippone.

Après deux semaines passées à étudier la petite île, Ryuzo Torii et les soldats qui l’accompagnent écrivent leur rapport sur la population qui y vit, qu’ils baptisent les Yami (aujourd’hui connus sous le nom de Tao) : « Leur vie communautaire et primitive est basée sur le troc. Ils élevent des chèvres, des poulets et de petits sangliers, cultivent la patate douce et le millet en terrain sec, ainsi que le taro et les fruits en terrain humide, le poisson constituant la base de leur alimentation. » Il s’agit là de la première mention écrite du porc miniature de Lanyu.

Ce dernier jouit par contre d’une aura bien plus ancienne dans la tradition orale tao. Un conte populaire attribue même sa découverte à un enfant. La description colportée par ces légendes correspond plutôt bien aux traits de cette race telle qu’elle est répertoriée aujourd’hui.

En 1975, Lee Tang-yuang [李登元] et Sung Yung-yi [宋永義], professeurs de zootechnie à l’Université nationale de Taiwan, qui souhaitent développer une race de porcs miniatures à des fins commerciales, trouvent leur bonheur à Lanyu. Ils ramènent alors sur l’île de Taiwan un verrat et quatre truies, qu’ils croisent ensuite avec des porcs Landrace, une race originaire d’Europe du Nord, donnant naissance à une nouvelle lignée, noire à tâches blanches, baptisée Lee-Sung.

Depuis 1996, le porc miniature de Lanyu et le porc Lee-Sung sont tous deux répertoriés par l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le porc de Lanyu étant la seule race pure miniature native du pays.

Inspection quotidienne des box où sont élevés les derniers spécimens de porcs miniatures de Lanyu.

« Malheureusement, il n’y a plus ici de porcs miniatures de Lanyu de race pure, qui sont reconnaissables, outre leur taille, à leurs soies noires et à leurs petites oreilles », constate Hsieh Han-chung [謝漢忠], un employé du service Agriculture de Lanyu. D’après lui, 300 des 445 foyers de la petite île continuent bien à élever chacun quelques porcs qu’ils nourrissent de déchets de cuisine. Mais bien que 80% des 1 500 cochons qu’on aperçoit à Lanyu soient noirs, ils ont, à des degrés divers, de grandes oreilles, un gros groin et une queue blanche, et leurs soies prennent souvent des teintes rousses, avec parfois l’apparition d’un collier blanc, note Chu Hsien-pin [朱賢斌], le directeur du département de zootechnie de la station de reproduction animale de Beinan, à Taitung. En fait, ils ont déjà perdu les traits héréditaires du porc miniature de Lanyu.

Pour comprendre cette évolution, il faut se pencher sur le mode de vie des Tao, qui représentent aujourd’hui 80% de la population de Lanyu. « Quel que soit le nombre d’animaux qu’ils possèdent, ils en font rarement commerce et préfèrent les conserver pour les abattages rituels lors des fêtes traditionnelles », explique Yu Guang-hong [余光弘], ancien chercheur à l’Institut d’ethnologie de l’Academia Sinica.

Autrefois, les habitants de Lanyu avaient l’habitude de laisser les cochons en liberté, raconte Hsieh Han-chung, un élément qui a mené à la dilution du patrimoine génétique du porc miniature de Lanyu.

Mitsai et compagnie

La taille si particulière du cochon de Lanyu a pourtant attiré l’attention. Dès le début des années 70, relate Chu Hsien-pin, sur la foi d’un rapport de l’armée américaine, les Instituts nationaux de la santé des Etats-Unis recommandent cet animal pour les expériences de laboratoire. Ces derniers en avertissent le ministère de la Planification et du Développement agricoles, à Taiwan, lui demandant de prendre des mesures de protection de cette espèce.

Cela est fait en 1980, année où 20 spécimens de porc miniature sont envoyés à la station de Reproduction animale de Beinan. Quatre ans plus tard, face à sa disparition rapide de Lanyu, le porc miniature devient une race protégée. A Beinan, on compte alors 15 mâles et 45 femelles. La technique de reproduction adoptée est alors la plus simple : on élève les animaux en plein air, à flanc de colline. Chaque truie met bas deux fois par an en moyenne, chaque portée comptant de 6 à 8 porcelets.

Une fois la population stabilisée, le ministère de l’Agriculture se lance, grâce à la reproduction sélective, dans le développement de variétés dotées de traits physiques spécifiques, pour alimenter le marché naissant des nouveaux animaux de compagnie.

Le premier sur la liste est le cochon Mitsai, fruit d’un croisement avec le porc Duroc, et couvert de marbrures brunes et blanches. Dès sa commercialisation, il y a une dizaine d’années, il fait fureur. Mais son aspect « mini » est tout relatif. Comme le note Chen Kuen-jaw [陳坤照], le directeur de la station de Beinan, si à l’âge de cinq mois le cochon Mitsai ne pèse que 30 kg, son poids à un an est compris entre 75 et 90 kg.

De haut en bas : porc miniature de Lanyu, porc Mitsai, porc tacheté de Lanyu et porcs Langbin.

Puis, c’est au tour du cochon tacheté de Lanyu de faire son apparition. En 1993, les employés de la station de Beinan remarquent que certains porcs noirs miniatures de Lanyu possèdent des gènes récessifs qui codent l’apparition de taches blanches sur le pelage. Plus tard, les scientifiques de l’Institut de recherche sur le bétail de Taiwan réussissent à purifier les gènes responsables de ces taches et à en stabiliser l’expression.

En 2003, sous les noms de code de Lanyu 100 et Lanyu 50, le cochon tacheté de Lanyu et le cochon Mitsai sont officiellement répertoriés par le ministère de l’Agriculture. Ces variétés sont destinées à être vendues comme animaux de compagnie ou pour servir d’attraction dans des fermes de loisirs.

Ces succès sont pourtant ternis par des négligences : après 16 années d’élevage des porcs miniatures de Lanyu à flanc de colline, les responsables de la station de Beinan s’aperçoivent que certains de ces mammifères se sont fait la belle. Plus navrant encore, les analyses de l’Institut de recherche sur le bétail de Taiwan montrent qu’un sanglier formosan, autre espèce endémique de Taiwan, s’est introduit dans le troupeau : la preuve la plus visible en est que certains porcelets arborent désormais un pelage noir strié de taches brunes. Pour garantir la pureté de la race, ces derniers sont alors écartés du troupeau.

En 2004, décision est prise de concentrer les efforts de reproduction sur un groupe de cinq mâles et 25 femelles, installé dans des bâtiments dotés d’aires distinctes pour l’insémination, la gestation, la mise bas et le sevrage, explique Chu Hsien-pin. L’installation abrite par ailleurs 27 cochons tachetés de Lanyu et 27 cochons Mitsai. A leurs côtés figurent aussi une autre variété, cousine germaine du cochon tacheté de Lanyu : le cochon Langbin. Celui-ci est tout blanc, une coloration provoquée par l’expression d’un autre gène récessif découvert par l’Institut de recherche sur le bétail de Taiwan.

Une vie de cochon

Ces pensionnaires un peu particuliers sont bien traités. Chaque jour, à 8h et 15h30, les mangeoires sont remplies d’un aliment soigneusement sélectionné, principalement composé de semoule de maïs et de poisson, riche en vitamines et minéraux et à teneur garantie en choline et en calcium, pour prévenir l’ostéoporose et l’arthrite. Les enclos sont protégés par des moustiquaires et ventilés en été pour assurer le confort des bêtes.

Qui plus est, chaque semaine, un vétérinaire désinfecte les porcs et vérifie qu’ils sont exempts de maladies telles que la fièvre aphteuse, la fièvre porcine, la maladie d’Aujezsky (ou pseudo-rage), la pneumonie à mycoplasmes ou encore la rhinite atrophique.

Dans la maternité, une truie Mistai a donné naissance la veille à sept porcelets, dont la peau est pour l’heure couverte d’un duvet orangé. « Dans cinq mois, quand leur poil jaunira et qu’ils atteindront 30 kg, ils seront vendus à des laboratoires », explique Chang Chih-wei [張之維], un employé de la station.

Des pionniers de la recherche

Difficile pour les pensionnaires de la station d’échapper à ce destin. Pour l’heure, c’est au tour d’une dizaine de porcelets d’être envoyés, en deux lots distincts, vers le Centre médical de la Défense nationale, à Taipei, et l’Hôpital mémorial Chang Gung, à Kaohsiung.

Après leur mise en quarantaine, les cochons sont placés dans des salles dont la température est maintenue à 25°C. Ils y disposent d’un espace suffisant pour évoluer à leur aise, et de la musique est même diffusée pour les apaiser.

Faire des cochons des auxiliaires de la recherche biomédicale est une stratégie qui a été adoptée dès 1980 par la station de Beinan, en plus de sa mission de sauvegarde de la race miniature de Lanyu. « Du point de vue anatomique et physiologique, les porcs sont plus proches des hommes que ne le sont des mammifères de petite taille comme les souris et les lapins, et leur utilisation soulève moins de problèmes éthiques que le recours aux singes », souligne Chu Hsien-pin. A partir de 2003, date d’inscription du porc tacheté de Lanyu et du porc Mitsai au registre officiel du ministère de l’Agriculture, les commandes ont afflué. Ainsi, 300 cochons ont été vendus par la station en 2008, soit trois fois plus qu’en 2004.

Un porc tacheté de Lanyu à la têtée.

L’hôpital de l’Université nationale de Taiwan (NTU) en a pour sa part commandé 32 l’an dernier. Comme l’explique Ko Shen-jen [柯世禎], responsable des animaux de laboratoire à la NTU, les souris, hamsters et autres cochons d’Inde sont principalement utilisés pour les besoins de la recherche génétique et cellulaire. Mais certaines expériences qui visent à étudier des réactions physiologiques chez l’animal ne peuvent être menées qu’avec des mammifères de plus grande taille comme le cochon. « Cela peut être compliqué d’anesthésier un verrat de 300 kg ; c’est beaucoup plus commode avec un porc miniature d’une trentaine de kilos ! », note Ko Shen-jen.

Pour ces raisons, les cochons miniatures de Lanyu sont particulièrement prisés des chercheurs qui, par exemple, souhaitent tester de nouvelles techniques de chirurgie cardiaque ou esthétique. Cette race est parfaite pour évaluer les risques de rejet des greffes d’organes et de tissus. Par exemple, en 2008, elle a permis à l’Hôpital mémorial Chang Chung, à Kaohsiung, d’expérimenter une greffe faciale sur deux spécimens. Cette expérience a été utile dans la perspective de greffes de peau pour des personnes victimes de brûlures ou d’accidents de la route.

En avril dernier, la même équipe de chirurgiens vétérinaires est parvenue à régénérer des tissus grâce à une auto-transplantation. La patte arrière gauche d’un porc miniature de Lanyu a été sectionnée puis regreffée avec succès sur le même animal, une opération accompagnée d’injections de cellules souches mésenchymateuses, qui renforcent les fonctions auto-immunitaires et donnent naissance aux tissus conjonctifs du squelette tels que les os et les cartilages.

Nouvelle carrière

Plus de trois décennies après avoir été repérés par les Américains, les mérites des porcs miniatures de Lanyu, sauvegardés par les pouvoirs publics taiwanais, suscitent l’intérêt de chercheurs d’autres pays, dont la France. Depuis 2005, l’Institut national de recherche agronomique (Inra) français s’efforce de constituer son propre troupeau de porcs miniatures, destinés à des recherches médicales sur l’obésité, la nutrition et la prévention des diabètes. Dans le cadre de ce projet, l’Inra cherche à acquérir des porcs de Lanyu. Cependant, ces demandes ont été pour l’instant examinées avec circonspection ici.

Wang Cheng-taung [王政騰], ancien directeur de l’Institut de recherche sur le bétail de Taiwan, et désormais vice-ministre de l’Agriculture, estime que l’exportation de spécimens de race locale doit rester une exception. « Même dans le cas d’une coopération internationale d’envergure, nous devons examiner cette question avec beaucoup d’attention », déclare-t-il.

Après avoir quasiment disparu, les porcs miniatures de Lanyu font donc l’objet, tout comme leurs cousins issus de lignées créées par les agronomes taiwanais, d’une attention renouvelée, et leur nombre croît à nouveau : un succès de taille !

Les plus lus

Les plus récents